(¶w)
L'économie n'est point défendue, surtout dans ce temps de
misère. J'habite la campagne. Ce matin à huit heures je suis
partie d'Auteuil, et me suis acheminée vers la route qui conduit de
Paris à Versailles, où l'on trouve souvent ces fameuses
guinguettes qui ramassent les passants à peu de frais. Sans doute
une mauvaise étoile me poursuivait dès le matin. J'arrive
à la barrière où je ne trouve pas même le triste
sapin aristocrate. Je me repose sur les marches de cet édifice
insolent qui recelait des commis. Neuf heures sonnent, et je continue mon
chemin: une voiture s'offre à mes regards, j'y prends place, et
j'arrive à neuf heures un quart, à deux montres
différentes, au Pont-Royal. J'y prends le sapin, et je vole chez mon
imprimeur, rue Christine, car je ne peux aller que là si matin: en
corrigeant mes épreuves, il me reste toujours quelque chose à
faire, si les pages ne sont pas bien serrées et remplies. Je reste
à-peu-près vingt minutes; et fatiguée de marche, de
composition et d'impression, je me propose d'aller prendre un bain dans le
quartier du Temple, où j'allais diner. J'arrive à onze heures
moins un quart à la pendule du bain; je devais donc au cocher une
heure et demie; mais, pour ne pas avoir de dispute avec lui, je lui offre
48 sols: il exige plus, comme d'ordinaire, il fait du bruit. Je m'obstine
à ne vouloir plus lui donner que son dû, car l'être
équitable aime mieux être généreux que dupe. Je
le menace de la loi, il me dit qu'il s'en moque, et que je lui payerai deux
heures. Nous arrivons chez un commissaire de paix, que j'ai la
générosité de ne pas nommer, quoique l'acte
d'autorité qu'il s'est permis envers moi mérite un
dénonciation formelle. Il ignorait sans doute que la femme qui
réclamait sa justice était la femme auteur de tant de
bienfaisance et d'équité. Sans avoir égard à
mes raisons, il me condamne impitoyablement à payer au cocher ce
qu'il demandait. Connaissant mieux la loi que lui, je lui dis: Monsieur,
je m'y refuse, et je vous prie de faire attention que vous n'êtes pas
dans le principe de votre charge. Alors cet homme, ou, pour mieux dire,
ce forcené s'emporte, me menace de la Force si je ne paye à
l'instant, ou de rester toute la journée dans son bureau. Je lui
demande de me faire conduire au tribunal de département ou à
la mairie, ayant à me plaindre de son coup d'autorité. Le
grave magistrat, en rédingotte poudreuse et dégoûtante
comme sa conversation, m'a dit plaisamment: cette affaire ira sans doute
à l'Assemblée nationale? Cela se pourrait bien, lui
dis-je; et je m'en fus moitié furieuse et moitié riant du
jugement de ce moderne Bride-Oison, en disant: c'est donc là
l'espèce d'homme qui doit juger un Peuple éclairé!
On ne voit que cela. Semblables aventures arrivent indistinctement aux bons
Patriotes, comme aux mauvais. Il n'y a qu'un cri sur les désordres
des sections et des tribunaux. La justice ne se rend pas; la loi est
méconnue, et la police se fait, Dieu sait comment. On ne peut plus
retrouver les cochers à qui l'on confie des effets; ils changent les
numéros à leur fantaisie, et plusieurs personnes, ainsi que
moi, ont fait des pertes considérables dans les voitures. Sous
l'ancien régime, quel que fût son brigandage, on trouvait la
trace de ses pertes, en faisant un appel nominal des cochers, et par
l'inspection exacte des numéros; enfin on était en
sûreté. Que font ces juges de paix? que font ces commissaires,
ces inspecteurs du nouveau régime? Rien que des sottises et des
monopoles. L'Assemblée nationale doit fixer toute son attention sur
cette partie qui embrasse l'ordre social.
P. S.
Cet ouvrage était composé depuis quelques jours; il a
été retardé encore à l'impression; et au moment
que M. Talleyrand, dont le nom sera toujours cher à la
postérité, venant de donner son ouvrage sur les principes de
l'éducation nationale, cette production était
déjà sous la presse. Heureuse si je me suis rencontrée
avec les vues de cet orateur! Cependant je ne puis m'empécher
d'arréter la presse, et de faire éclater la pure joie, que
mon cur a ressentie à la nouvelle que le roi venait d'accepter
la Constitution, et que l'Assemblée nationale - que j'adore
actuellement, sans excepter l'abbé Maury et la Fayette est un dieu -
avait proclamé d'une voix unanime une amnistie
générale. Providence divine, fais que cette joie publique ne
soit pas une fausse illusion! Renvoie-nous, en corps, tous nos fugitifs, et
que je puisse avec un peuple aimant, voler sur leur passage; et dans ce
jour solennel, nous rendrons tous hommage à ta puissance.
Study
Link
Andrew Roberts' web Study Guide
Top of
Page
Take a Break - Read a Poem
Click coloured words to go where you want
Andrew Roberts likes to hear from users:
To contact him, please
use the Communication
Form